Installer un V8 Ferrari dans une placide berline à traction avant ? Sans doute un des mariages les plus improbables de l’histoire de l’automobile. Et pourtant, Lancia l’a osé.
Dans les années 60, la Lancia Flaminia concurrençait Mercedes-Benz et les autres constructeurs de voitures de luxe. C’était un modèle cossu, solidement assemblé, et dont la mécanique était un véritable chef d’œuvre. La production de la Flaminia s’acheva en 1970, sans connaître de remplaçante. Lorsqu’en 1984 la Thema fut lancée, des années de négligence avaient changé la donne, et Mercedes n’avait vraiment plus rien à envier à Lancia.
La Thema est basée sur la plate-forme tipo quattro, qu’elle partage avec la Saab 9000, l’Alfa Romeo 164 et la Fiat Croma. À son lancement, les clients avaient le choix entre une palette de 4 cylindres Fiat, un turbodiesel 2,5l et même le V6 PRV. Pas de quoi enflammer les quelques passionnés de la marque qui se souvenaient que Lancia fut le premier constructeur à produire en grande série un V6.
Fiat était conscient de cela, et réfléchit rapidement à donner un prestige supplémentaire à la berline haut de gamme du groupe. Plusieurs options furent considérées, avant qu’André Chardonnet, l’importateur français de Lancia, n’émette l’idée de faire entrer au chausse-pied un V8 Ferrari dans le compartiment moteur de la Thema. Cette proposition surprenante fut adoptée, et la Thema 8.32 fut dévoilée lors du salon du Turin 1986.
Son V8 2,9l à 32 soupapes provient de la 308 Quattrovalvole, et il donne son nom à la voiture : 8 cylindres et 32 soupapes. Lancia lui apporta quelques modifications pour le rendre plus adapté à une berline de luxe. Sa puissance fut abaissée de 240 à 215 ch, alors que le couple passait de 240 à 283 Nm. Le freinage fut revu à la hausse en conséquence : Lancia équipa la 8.32 des freins de la Delta Intégrale et d’un ABS Bosch.
Le moteur, assemblé à Maranello, propulse les 1 400 kg de la voiture de 0 à 100 km/h en un très respectable 6,8 s, et la vitesse maxi est de 240 km/h. Ceci dit, ceux qui se sont acheté une 8.32 en pensant disposer d’une version berline de la 308 ont fait fausse route. Le V8 entraîne en effet les roues avant via une transmission manuelle à 5 rapports ; une architecture qui place 62 % du poids sur le train avant, et rend la voiture bien plus à l’aise sur l’autoroute qu’en conduite sportive ou sur circuit. Oui, la 8.32 est rapide et vive, mais elle n’est en rien une Ferrari à 4 portes.
Lancia aurait pu succomber à la facilité et à jouer sur la connexion avec Ferrari en recouvrant la voiture d’emblèmes au cheval cabré, mais la marque opta au contraire pour une approche plus discrète, faisant de la Thema 8.32 un véritable sleeper. Elle se distingue juste par un emblème jaune sur sa calandre, des jantes de 15 pouces à 5 bâtons rappelant celle des Ferrari contemporaines, et d’un aileron rétractable sur le bout du couvercle de malle. Pour le reste, c’est une Thema comme une autre.
Dans l’habitacle, c’est une autre histoire : celui-ci est aussi luxueux qu’un palais présidentiel. Les sièges sont tendus de cuir Poltrona Frau, et la planche de bord reçoit des inserts de loupe de noyer. Détail amusant : les appuis-tête arrière basculent automatiquement – ils se déploient lorsqu’une portière est ouverte, et se rétractent si aucun poids n’est détecté sur le siège dans les 30 secondes, ou si la marche arrière est enclenchée.
Comme on peut s’y attendre, tout cela avait un prix : en 1988, la Thema 8.32 coûtait 63 098 000 Lire, environ le double d’un modèle équipé du quatre cylindres 2,0 l 16 soupapes. Et ce chiffre pouvait monter très vite si l’acheteur choisissait des options telles que les sièges arrière électriques, les siège avant chauffants, le toit ouvrant, ou la télévision (!).
En 1988, Lancia restyla légèrement l’ensemble de la gamme Thema, avec de nouveaux phares, calandres et rétroviseurs. De plus, les Thema de seconde série sont équipées d’un système de suspensions hydraulique développé par Boge, très similaire à celui des Citroën. La hauteur de caisse de la berline est réglable, et le conducteur peut choisir entre les modes « Sport » et « Auto ». Bien que complexe, la suspension de la 8.32 préfigurait les systèmes électroniques que l’on retrouve sur de nombreuses voitures haut de gamme actuelle, comme le Dynamic Select de Mercedes.
Lancia fut contraint d’adapter un pot catalytique sur la 8.32 en 1990, ce qui réduisit la puissance du V8 à 208 ch, et abaissait légèrement la vitesse maxi à 235 km/h. La production de la Thema 8.32 s’acheva en 1992, avec un peu moins de 4 000 exemplaires produits – tous en berline, il n’y eut jamais de 8.32 break. Les autres versions de la Thema demeurèrent au catalogue jusqu’en 1994, date d’arrivée de la Kappa.
